De ma vanité personnelle

J'ai décidé il y a quelques jours d'offrir au monde toute la beauté que je peux. Je me promène donc avec de belles fleurs à la main, je passe en vélo afin que le maximum d'habitants de ma ville puisse voir, même rapidement, mes cuisses fuselées et bronzées.

Je cesse mes expériences capillaires et je paie une coiffeuse pour prendre soin de ma chevelure, ceci tous les mois.

Je n'hésite pas à porter tous les bijoux que je peux, si lourds et colorés soient-ils.

Je cours dès le matin précédée ou suivie par mon chien, offrant l'image d'une femme en parfaite harmonie avec la nature. Je n'ai pas à élever la voix pour me faire entendre de mon compagnon à quatre pattes.

J'utilise un parfum fabriqué dans les îles avec des fleurs de frangipaniers. Je sens bon à dix mètres à la ronde. Je sens l'île, le lagon, et peut-être aussi le poisson ballon.

Toute sortie est occasion de bonté de ma part, de don de moi aux autres. Je sourie béatement dans le métro et autres moyens de transport bondés. Si on m'interroge sur mes quolifichets, je réponds, ne cherchant aucunement à m'en garder l'exclusivité. Je donne l'adresse et même les horaires de la boutique. Je suis bonne.

Si des hommes m'adressent la parole, en général pour me complimenter sur ma robe ou je ne sais quel détail, je les remercie avec grâce. Si c'est pour me demander où se trouve la bibliothèque ou dans quelle salle se tient l'assemblée générale sur l'économie solidaire, de même.

Vous devez vous demander si je ne donne pas, avec tous ces artifices, une image caricaturale de la femme ? Non, pour deux raisons. D'abord parce que je ne suis pas belle. Donc l'effet de beauté que je produis n'est pas redondant. D'autre part, l'image préfabriquée que la plupart des humains se font des femmes est telle que je pourrais encore en faire dix fois plus sans aller à la faute de goût.

J'espère vous convaincre aussi. Ainsi, tous beaux et belles, nous irons par les chemins en toute modestie, réfléchissant à la façon de rendre le monde plus beau.