Tous en voie de jeune-fillisation
Je vous avais promis que je vous reparlerai de ce livre écrit sous la plume collective Tiqqun, édité aux Mille et une nuits : Premiers matériaux pour une théorie de la jeune fille.
C’est un livre abordable à tous points de vue. Une petite virée chez Amazon.fr vous permet de le recevoir en quelques jours chez vous pour moins de 2,50€. C’est un livre facile à lire, tout petit, qui se présente graphiquement comme ces livres rigolos remplis de phrases du genre qui commencent par « ta mère est si grosse que… »
Pour moi, Tiqqun avec ce livre, est l’héritier de Schopenhauer dans son essai sur les femmes, en plus intelligent. Schopenhauer dans son essai sur les femmes se montre cruel et hilarant. Tiqqun va plus loin en affirmant que nous sommes tous en voie de jeune-fillisation. Sa théorie de la jeune fille n’est pas comme on pourrait le croire par une trop rapide lecture une accumulation de sottises collectées sur les jeunes filles, c’est la critique d’une société qui voudrait tous nous transformer en jeunes filles ; dociles, belles, jeunes, obsédées par le bon et le beau. Je cite :
Entendons-nous : le concept de la Jeune-Fille n’est évidemment pas un concept sexué. Le lascar de boîte de nuit ne s’y conforme pas moins que la beurette grimée en porno star. Le sémillant retraité de la com’ qui partage ses loisirs entre la Côte d’Azur et ses bureaux parisiens où il a gardé un pied lui obéit au moins autant que la single métropolitaine trop à sa carrière dans le consulting pour se rendre compte qu’elle y a déjà laissé quinze ans de sa vie. Et comment rendrait-on compte de la secrète correspondance qui lie l’homo branché-gonflé-pacsé du Marais à la petite-bourgeoise américanisée installée en banlieue avec sa famille en plastique, s’il s’agissait d’un concept sexué ?
En lisant ce livre, édité en 2001 et d’une actualité grinçante, j’ai compris pourquoi j’aimais lire Schopenhauer alors que je déteste entendre des généralités sur les femmes (ou sur qui que ce soit). Parce que je lis Schopenhauer comme il faut lire la théorie : en cherchant à débusquer ce qu’il y a de mesquin, de stupide et de vain en soi-même et autour de soi.
J’ai compris aussi pourquoi je suis fascinée par le personnage de Mare-Jo, bien qu’elle soit mon anti-moi. Elle se refuse à dire son âge, essaie régime sur régime, lit l’effrayant magazine « Rajeunir » bourrée de ses terribles portraits avant/après chirurgicaux dont on ne sait quelle chronologie est la plus horrible. Elle décide avec autorité de l’heure à laquelle nous allons au cinéma, boit du thé vert parce que c’est meilleur pour la santé et son plus gros souci est de protéger ses cheveux des agressions de l’hiver.
Le dernier film des frères Coen est dans la même lignée grinçante. Sa moralité, sans vous en dire plus, est que ce qui met en mouvement le monde pourrait être juste une femme qui veut sa cosmetic surgery avec une telle force qu’elle en devient une étoile autour de laquelle tout tourne. Pas étonnant qu’on se sente des extra-terrestres.